Les compétences nécessaires pour la réussite dans l’exercice libéral de la profession

d’expert-comptable

 

 

 Par : Ramzi BORGI

Mémorialiste en expertise comptable

 

 

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 INTRODUCTION

Le rêve de nombreux étudiants en expertise comptable est de réussir à implanter leur propre cabinet. La volonté et les compétences techniques ne font pas défaut, mais la réussite n’est pas toujours évidente. On assiste, même, de nos jours à un nombre élevé de diplômés d’expertise comptable qui ne réussissent pas dans la vie professionnelle.

Cela est-il dû à une saturation du marché ? Ou à des insuffisances techniques ?

La théorie de Say (J.B.) sur l’économie des services supérieurs affirme que « l’offre crée sa propre demande ». Cette théorie se vérifie à l’échelle du monde pour l’expertise comptable. La prolifération de diplômation dans les pays anglo-saxons (USA, Canada, Australie et Grande Bretagne) explique la puissance de la profession comptable dans ces pays et lui donne un avantage compétitif certain par rapport à ses concurrents locaux et à l’échelle mondiale.

De même, l’insuffisance des compétences techniques ne justifie pas la majorité des cas d’échec. Il arrive qu’une personne remarquable par son intelligence, qui réussit brillamment ses études, ne rencontre pas le même succès dans la vie professionnelle alors qu’une autre personne ayant plutôt fait des études moyennes réussit brillamment dans l’exercice professionnel. Les compétences techniques ne suffisent, donc, plus. D’autres compétences sont aussi nécessaires sinon plus pour bien réussir.

La réussite dans l’exercice libéral de la profession d’expert-comptable dépend de l’aptitude du professionnel à assurer une bonne rentabilité de son cabinet dans le respect des valeurs de la profession. Autrement dit, la réussite dépend de l’aptitude du professionnel à développer  une clientèle fructueuse et à gérer efficacement son cabinet et ses missions.

Les déterminants de la réussite dans l’exercice libéral de la profession d’expert-comptable reposent, donc, sur deux composantes :

-   Une composante externe : La capacité de séduire et de conserver une clientèle fructueuse,

-   Une composante interne : Une gestion performante du cabinet et des hommes.

Réussir ces deux composantes exige de l’expert-comptable une triptyque de compétences à savoir :

-   Les compétences comportementales,

-   Les compétences techniques, et

-   Les compétences en matière de gestion des risques.

Ces compétences sont inter-reliées. Toutefois, les  compétences comportementales semblent constituer un vecteur de la réussite globale et un facteur d’excellence dans les compétences techniques et la gestion des risques.

Un déficit comportemental est de nature à déprécier la perception des aptitudes techniques par le marché, alors que la compétence dans les comportements met davantage en valeur les capacités techniques et professionnelles d’une personne. C’est la raison pour laquelle les qualités humaines et comportementales l’emportent sur les diplômes[1].

Parmi ces trois types de compétences, seules les compétences techniques sont prises en charge par le système éducatif. Les compétences comportementales, nécessaires pour mettre en valeur les compétences techniques, ainsi que les compétences en gestion des risques, qui soutiennent les autres compétences, ne sont que peu intégrées dans les programmes éducatifs.

1- Les compétences émotionnelles et comportementales

Les recherches, vulgarisées par Daniel Goleman, ont démontré que l’intelligence technique (exprimée par le quotient intellectuel « QI »[2]) se place en seconde position derrière l'intelligence comportementale pour expliquer la réussite professionnelle[3]. La maîtrise de nos comportements intervient à concurrence des 2/3 dans l’explication du succès ou de l’échec professionnel confirme-t-il[4].

Le professionnel n’est plus uniquement jugé sur la base de ses capacités intellectuelles ou ses compétences techniques (présumées vérifiées à l’obtention du diplôme d’expertise comptable) mais à l'aune d'un nouvel étalon : La qualité de son rapport à lui-même et de ses rapports aux autres (confrères, clients, collaborateurs, etc…).

Cela s’explique par le fait que dans les professions qui exigent un haut niveau de compétences intellectuelles, comme la profession d’expert-comptable, la sélection sur le plan technique est rigoureuse au niveau de l’accès à la profession (le certificat des études supérieures de révision comptable en fournit la preuve s’il en faut) sans aucune exigence sur le plan comportemental. Et comme les étudiants qui réussissent à franchir le barrage initial ont des compétences techniques raisonnablement suffisantes, celles-ci, tout en étant nécessaires, n'offrent plus ensuite un avantage compétitif décisif.

Les déterminants de la réussite (une clientèle fructueuse et une gestion performante du cabinet) font appel aux compétences comportementales en plus des compétences techniques. Pour être mises en valeur et mériter la reconnaissance des autres, les aptitudes techniques nécessitent d’être mises en œuvre par des hommes qui se comportent de façon intelligente. Selon Pierson (M-L.), l’intelligence comportementale n’ajoute pas aux aptitudes techniques, elle les multiplie. A contrario, un déficit comportemental peu aller jusqu’à gâcher les aptitudes techniques et priver le professionnel de toute reconnaissance.

Être reconnu par sa fiabilité, sa conscience professionnelle et sa confidentialité constitue un facteur clé de succès pour l’expert-comptable. De même, la conscience de ses compétences ainsi que de ses faiblesses comportementales permet à l’expert-comptable de définir le champ d’intervention de son cabinet en procédant à la confrontation de son bilan de compétences aux compétences critiques spécifiques exigées par les différents métiers comptables, à savoir l’assistance, la certification et le consulting.

La sélection de clients à risques faibles et leur fidélisation implique, aussi, la définition des valeurs et exigences en matière de recherche de la clientèle d’une part et l’entretien de relations avec les clients basées sur la loyauté, l’indépendance, l’impartialité et le désir d’être utile. De même, un professionnel avisé est un professionnel qui s’attache aux règles de l’éthique professionnelle.

L’expert-comptable est tenu, aussi, de faire preuve d’intelligence comportementale afin de développer un réseau relationnel performant, lui permettant :

-   de se faire connaître, et

-   de gérer convenablement les attentes de ses clients pour réduire le risque de déception pouvant affecter négativement sa réputation.

Quant à la gestion interne du cabinet, l’expert-comptable, chef d’entreprise, est, en dernier ressort, un meneur d’hommes. Son emplacement au sommet de la hiérarchie rend ses comportements cruciaux pour la réussite. Pour ce faire, il est tenu :

-   d’informer ses collaborateurs sur l’impact des comportements sur la performance du cabinet, de les éduquer dans le sens professionnel et de contrôler leur comportements ;

-   d’intégrer les comportements dans les critères de recrutement afin de réduire le risque des recrutements-erreurs pouvant affecter l’efficacité globale du cabinet ;

-   de développer un climat de travail motivant en adoptant un des styles de management de résonance, notamment, celui de l’entraîneur ;

-   de développer une culture de collaboration et de travail collectif permettant de bénéficier des avantages du travail d’équipe et de l’intelligence collective.

Certes, les aptitudes comportementales sont en synergie avec les aptitudes purement intellectuelles, ce qui exige des experts-comptables qu’ils allient les deux types de compétences. L’avantage concurrentiel dans la profession suppose en plus des compétences techniques, un savoir vivre et  communiquer avec les autres, autrement dit des qualités et des compétences comportementales.

Les professionnels les plus avertis affirment que l’observation des comportements, de l’aptitude à nouer des relations, de la capacité à résoudre les problèmes... permet de prévoir ceux qui peuvent exceller dans l’exercice libéral de la profession de ceux qui s’exposent plutôt aux  difficultés.

2- Les compétences techniques

Etre techniquement compétent, c’est acquérir les connaissances et les savoirs faire dans les divers domaines qui concernent le champ d’intervention de l’expert-comptable (comptabilité, droit des sociétés, fiscalité, gestion, etc.) au cours des études et des stages professionnels et les exploiter, les développer  et les mettre à jour tout au long de la vie professionnelle.

Toutes les missions dont peut être chargé l’expert-comptable (missions d’assistance, missions de certification et missions de conseil) ont un trait commun qui est l’aide à la gestion du patrimoine des clients bien que faisant appel à des connaissances variées.

Les clients ne confient leurs dossiers qu’à des experts-comptables dont ils reconnaissent la compétence technique c'est-à-dire la capacité à :

-   Maîtriser les missions et les démarches qu’elles impliquent. L’expert-comptable ne doit pas s’engager dans des missions qui dépassent ses capacités techniques ;

-   Formuler des jugements professionnels de qualité ; et

-   Accomplir leurs missions avec professionnalisme.

Le volume des connaissances nécessaires pour l’exécution des missions est devenu si important qu’aucun professionnel ne peut prétendre tout connaître. Une stratégie d’apprentissage, de travail collectif en équipe et de coopération s’avère indispensable pour maintenir et développer les connaissances individuelles et bénénficier de l’intelligence collective du cabinet. Une telle stratégie ne peut être mise en œuvre sans recours aux compétences comportementales.

De même, la gestion interne du cabinet et la rentabilisation des dossiers nécessitent que l’expert-comptable se préoccupe de développer les compétences techniques de ses collaborateurs.

En ce sens, il est impératif qu’il :

-   définisse les méthodes de travail, les communique aux collaborateurs et contrôle leur bonne application,

-   planifie les missions et les affecte aux collaborateurs en fonction de leurs compétences.

-   se préoccupe d’une façon permanente de la qualité des travaux accomplis par ses collaborateurs en supervisant leurs travaux et en accordant une attention particulière à l’appréciation de la qualité des travaux par le client (feed back).

3- Une gestion performante des risques liés aux missions

La profession comptable est, à l’instar de tout métier, indissociable du risque (risques liés aux missions, aux clients, aux collaborateurs et au marché). L’observation des cas d’échec montre qu’une absence de gestion de risque expose, généralement, le professionnel à des situations inconfortables (litiges, procès, instruction pénale, condamnation civile ou pénale, sanctions professionnelles, perte de clientèle, difficultés financières, mauvaise réputation, etc.) ayant un impact négatif sur sa performance et sur la rentabilité et l’image de marque de son cabinet    et, de façon générale, sur sa carrière professionnelle.

Une gestion performante des risques  fournit des méthodologies et des techniques qui améliorent la prise de décisions et les jugements. Dans ce sens, elle constitue un élément du processus de gestion et aide à la réalisation des objectifs de performance et de rentabilité.

Il est donc  impératif :

-   d’introduire la gestion des risques liées aux missions dans la politique générale du cabinet : Appétit du risque du cabinet, choix des missions à exécuter, sélection des clients, délégation des pouvoirs, etc.

-   de la communiquer aux collaborateurs,

-   de veiller au développement d’une culture du risque au sein de son cabinet, et

-   de veiller au contrôle et au pilotage continu du processus de gestion des risques afin de l’adapter aux différents changements de l’environnement.

La  gestion des risques est un processus, composé de plusieurs actions (la fixation des objectifs, la détermination de l’appétit du risque, l’identification des évènements, l’évaluation du risque, la réponse au risque, les activités de contrôle et l’information et la communication sur les risques) et doit être mis en œuvre par tous les membres du cabinet tout en réservant un rôle principal pour l’expert-comptable qui reste la seule personne habilitée à prendre les décisions majeures. Aussi, peut-on dire qu’une bonne gestion des risques de la part du professionnel (à travers les décisions ainsi que les choix majeurs, notamment, l’appétence pour le risque, le traitement des risques professionnels, l’acceptation des missions, le recrutement des collaborateurs, le modèle professionnel,…) allège considérablement les tâches de ses collaborateurs et réduit les risques qu’il peut encourir.

Sans une gestion appropriée des risques, les compétences comportementales et les compétences techniques, tout en étant nécessaires, ne peuvent assurer un succès serein et durable et la probabilité de commettre des imprudences, à conséquences néfastes, est importante. Autrement dit, les compétences émotionnelles et comportementales associées aux compétences techniques aident à occuper une place dans le marché, mais la réussite ne peut durer sans une saine gestion des risques.

Dans le présent mémoire seront étudiées ces différentes compétences permettant de :

-   développer une clientèle fructueuse (Première partie) ; et

-   gérer efficacement le cabinet (Deuxième partie).


 


[1] Le proverbe dit « l'homme est plus important que le diplôme ».

[2] Le Q.I. est une mesure de l'intelligence intellectuelle générale. Il s'agit donc d'une capacité générale à penser et à résoudre des problèmes dans un laps de temps limité.

[3] Toutefois, l’analyse du questionnaire établi dans le cadre de la préparation du présent mémoire, montre que 12 experts-comptables (soit 50%) octroient la même importance aux compétences comportementales, alors que 8  experts-comptables (soit 33.3%) donnent plus d’importance aux compétences techniques, et 4 experts-comptables (soit 16.7%) classent la gestion des risques au premier rang dont trois experts-comptables donnent plus d’importance aux compétences comportementales qu’à celles techniques.

[4] Goleman (D.), « L’intelligence émotionnelle – 2 », Editions J’ai lu, 1998, pages 32-33.