Édito 60

Le temps

«Une société change, quand la vision qu'elle a du temps change» (1).

C'est dire toute l'importance du temps.

Tout ce que nous achetons n'est autre que du temps. Tout ce que nous vendons n'est autre que du temps. Le temps est la mesure de toute chose, il est au cœur de la vie s'il n'est pas la vie même. 

Mais entre deux personnes, le contenu du temps ne s'équivaut pas ni même chez la même personne d'ailleurs : «le temps des vacances n'est pas le même que le temps des périodes d'activités. Les durées ne sont pas comparables dans leur contenu même si elles le sont dans leur mesure» (2).

C'est dire qu'il existe deux modes de représentation du temps : le temps mesuré et le temps ressenti.

Le temps mesuré est le temps qui passe ; Le temps ressenti est le temps à qui on donne du contenu, que nous vivons pleinement en osmose avec ce que nous faisons nécessairement au mieux et qui nous permet d'apprendre et d'être profondément heureux.

Ainsi, le temps acquiert pour l'homme un contenu, chaque fois qu'il fait quelque chose qu'il aime, qu'il apprend. De même, la volonté de l'homme exerce un grand pouvoir sur l'intensité du temps ressenti.

Bruno Jarrosson écrit qu' «avec une éthique de la connaissance, de la curiosité, la volonté d'ouvrir notre esprit à des domaines inconnus, nous pouvons augmenter la conscience de notre ignorance, et ainsi recevoir plus de temps du temps, plus de vie de la vie" (3).

Le temps exerce sur nous une dictature, une pression qui peut être déstabilisante.

L'intelligence consiste à lui donner un contenu utile. Il arrive souvent que dans notre quête à gagner du temps, on en perd. Ainsi, lorsqu'on gagne du temps au prix d'un bâclage, il est probable que l'on soit appelé de nouveau à consacrer du temps pour réparer ou corriger les dégâts. Or, le temps nécessaire pour se rattraper est des fois beaucoup plus long que le temps nécessaire pour bien faire. De même, on peut gagner du temps mesuré tout en perdant du temps ressenti à l'instar de celui qui lit un résumé au lieu de lire le livre et qui met moins de temps mesuré mais perd en substance.

Dans ce sens, la corrélation entre la durée du travail et les résultats obtenus est nécessairement fonction de l'intensité du contenu que l'on donne à ce temps. Ce que le client accepte de payer, ce n'est pas uniquement le temps mesuré, mais le contenu d'utilité que nous donnons à ce temps.

Ainsi, sans logique de contenu, le système qui consiste à rémunérer un temps mesuré, alors que les clients n'acceptent de payer que le temps à contenu utile, impliquant une consommation efficace du temps, est un système qui, en dehors d'une forte culture de dévouement au travail, sème inéluctablement l'inefficacité.

 


[1] Octario Paz, prix Nobel de littérature 1991.

[2] Bruno Jarrosson, Briser la dictature du temps -Maxima.

[3] Bruno Jarrosson, op-cit. 

Abderraouf YAICH

 

 

RCF N° 60 Deuxième trimestre 2003