Édito 61

Les juristes devraient écouter les économistes plus souvent

Lorsqu’un juriste établit une règle de droit, il est toujours animé par une noble cause de rigueur et d’ordre. Mais compte-t-il le coût de cette règle sur l’économie ? Ou, ose-t-on dire, songe-t-il à en compter le coût pour respecter la première règle d’or en économie nécessaire à la validation toute action à savoir : l’obligation que les avantages soient supérieurs aux coûts.

Selon Coase (prix Nobel de l’économie 1991), la réglementation ne peut s’imposer qu’à deux conditions :

(i) que les coûts de transaction de la réglementation soient inférieurs aux coûts des autres solutions,

(ii) que ces coûts soient inférieurs aux bénéfices de l’action elle-même.

Coase ajoute que la réglementation n’a de sens que si elle permet une allocation efficace de moindre coût.

C’est en application de ces règles que la France, par exemple, a supprimé la signature légalisée et la certification conforme par une autorité officielle.

Si vous cumulez les coûts générés par le respect du droit économique, du droit fiscal, du droit des sociétés, du droit social, etc… auxquels on ajoute le coût des incertitudes générées par les ambiguïtés que ces différents droits font peser sur l’entreprise, on comprend à quel point le droit charge l’entreprise, qui s’y soumet par contrainte ou par politique, de coûts de transactions alors qu’il est, par hypothèse senser la servir.

Nous savons que les coûts de transaction sont un frein au développement en économie de marché qui, par le jeu de la rationalité des agents et le mécanisme de la concurrence et des prix, a pour fonction naturelle de supprimer les coûts inutiles.

Dans ce contexte, je ne puis éviter le questionnement suivant : L’entreprise exemplaire qui se soumet scrupuleusement à toutes les obligations juridiques peut-elle rester compétitive ? La réponse doit être certainement nuancée : s’il est vrai que beaucoup d’entreprises prospères relèvent de la catégorie des entreprises qui essaient de se conformer au mieux aux différentes obligations juridiques, il n’en demeure pas moins que ces entreprises ne doivent leur prospérité qu’à leurs spécificités propres qui les dotent d’avantages compétitifs puissants.

Néanmoins, des coûts de transaction et une bureaucratie élevées ne laissent personne à l’abri. Il peuvent, à terme, fragiliser des entreprises, aujourd’hui, prospères.

Dans ce sens, diverses recherches ont pu démontrer que certaines mesures de performance, dont la performance technologique (Leiblein et al. 2002), diminuent lorsque l’entreprise s’écarte des règles prescrites par la théorie de l’économie des coûts de transaction (1).

A titre comparatif, l’influence de la théorie économique sur le droit américain et son évolution est un exemple intéressant : Dans les années 60, les tribunaux  américains se sont opposés à un grand nombre de fusions-acquisitions. Leur objectif était d’appliquer à la lettre et de façon dogmatique la théorie des prix qui postule un niveau de concurrence maximal. C’est Williamson qui a pu montré (1968) qu’une économie sur les coûts de transaction était favorable à l’économie et au bien être des américains. «Cette nouvelle théorie économique a amené les tribunaux à réviser leurs jugements dans les années qui ont suivi» (2).

Cette influence des théories économiques sur le droit a fait dire à Monsieur M. GHERTMAN que la théorie de «l’économie des coûts de transaction a bien aidé la stratégie des entreprises, non pas en lui proposant des nouveaux modèles de raisonnement ou d’organisation interne, mais en modifiant son environnement institutionnel, ce qui s’avère aussi important, sinon plus» (3). 

 


(1) M. GHERTMAN, Olivier WILLIAMSON et la théorie des coûts de transaction, Revue Française de gestion n° 142, page 57.

(2) Op-cit page 53.

(3) Op-cit page 54.

Abderraouf YAICH

 

 

RCF N° 61 Troisième trimestre 2003